De la tradition anglaise du "jardin pittoresque" du XIXème siècle à l'influence des jardins urbains épurés du siècle suivant, le jardin d'Ypres est le résultat d'une quête du jardin idéal
pour une "cité idéale". C'est aussi le souvenir d'un élan d'espoir et de lumière entre français et Belges, durant les temps obscures de la Grande Guerre.
Ypres, le nom d'une ville de Belgique qui marque à jamais « le souvenir d’une époque de vie commune »
La décision de baptiser l'ancien jardin public du Touquet-Paris-Plage selon le nom actuel de "jardin d'Ypres" fut prise par
délibération du conseil municipal, le 2 février 1935, en l'honneur des réfugiés belges de la ville d'Ypres hébergés au Touquet durant la première guerre mondiale.
La plaque commémorative avec le nouveau nom, placée face au jardin, a été inaugurée le 30 juin 1935 et marque à jamais le
souvenir historique d'une communauté franco-belge qui sut admirablement s'organiser et s'épanouir durant les temps difficiles de la guerre. la journée d'inauguration fut mémorable pour les deux
villes et chargée de symboles: un cortège depuis la piscine du front de mer jusqu'au cimetière où 48 soldats et civils belges y furent enterrés pendant la guerre, une réception à l'hôtel de
ville, marquée par les discours et les félicitations de circonstances, une cérémonie religieuse, la musique des harmonies des deux villes pour égayer les discours et le protocole de
l'inauguration face au jardin, un banquet à l'Hermitage et enfin, pour clôturer la journée dans l'esprit sportif de la station, une fête nautique à la piscine incluant un match de water-polo
opposant Ypres au T.A.C. touquettois.
Le Touquet-Paris-Plage, ville refuge
Durant la première guerre mondiale, le Touquet Paris-Plage fut le refuge de milliers d'exilés français et belges. Les belges majoritairement flamands représentent près de la moitié des 6000 estimés. Un mois après la mobilisation générale en Belgique, le 31 juillet 1914, alors que celle de France sonnait deux jours plus tard, les premiers d'entre eux arrivent au Touquet fin août 1914 pour fuir l'invasion allemande. Ils viennent des villes d’Ypres, de Dixmude, de Furnes, de Roulers, de Langemark et de Menin et trouvent asile dans les hôtels touquettois. On trouve des échos de cet exode belge vers le Touquet-Paris-Plage notamment dans l'édition du 6 Septembre 1915 du journal "l’indépendance belge".
La chapelle St André, cœur de la vie com- munautaire des réfugiés belges
Face à l'arrivée massive des familles belges dans la station de Paris-Plage, la priorité est d’ouvrir une école pour accueillir les nombreux enfants de langue flamande. La Chapelle St André, qui avait été reconverti en marché couvert depuis la mise en service de l'église Jeanne d'Arc en 1912 fut mise à disposition de Demoiselle Molaert et de Sieur Wulus pour y assurer séparément et respectivement les enseignements des filles et des garçons. Des champs de culture furent même offerts pour les besoins des classes de l’enseignement agricole. Quant au problème de pratique religieuse, il fut d'autant plus facile à résoudre que la communauté des exilés était de confession majoritairement catholique. Pour la minorité de protestants qui ne pouvait se rendre à l'église Jeanne d'Arc le dimanche, le chanoine Deligny, curé du Touquet, mit à disposition de l'abbé Pille, arrivé de Belgique, la chapelle Saint André pour offrir aux réfugiés flamands de confession protestante un lieu de culte. C'est ainsi que même la cérémonie de la fête du Roi, si chère au cœur des Belges, put continuer à être célébrée durant chacune des années de guerre. De cette manière la communauté flamande toute entière put continuer à vivre normalement, au rythme de ses traditions et de ses fêtes. Par ailleurs, la réussite des comités de réfugiés, comme par exemple l'Association Sportive Belge, crée en 1916 et le dynamisme de l'organisation des animations apportèrent un climat de fraternité qui favorisa rapidement la coexistence des diverses communautés d'exilés. Grâce à cet élan de solidarité et de bonne volonté communautaire, un esprit d'humanité put être préservé, rendant les quatre années de guerre "supportables et plus légères", comme on disait à l'époque.
Ypres sauvée par l'amitié franco-belge
Pour permettre à la ville d'Ypres de continuer à exister, durant son exil, la municipalité du Touquet-Paris-Plage, conduite alors par le maire Fernand Recoussine, avait mis à disposition la Villa Domrémy pour héberger les services de l'administration yproise. Le Bourgmestre d'Ypres, René Colaert et son conseil échevinal s'y installent en avril 1915 et y resteront plus de 4 ans. La villa, située à l'angle sud-est de de la rue St Jean et de la rue de Moscou, n'existe plus sous son ancienne forme. Elle fut reconstruite après la seconde guerre mondiale. L'élan de solidarité de la commune du Touquet envers la ville d'Ypres s'illustra également en prêtant au Conseil Échevinal d'Ypres la salle du Conseil Municipal du Touquet-Paris-Plage, à la fin de la période d'exil. Cette autorisation avait du être décidée à titre exceptionnel par délibération du Conseil municipal. Le Conseil Échevinal d'Ypres put donc, grâce à la générosité paris-plageoise, se réunir officiellement le 23 février 1919, dans une mairie française, pour tenir une séance historique qui dura 12 heures, de 9h à 21h, lors de laquelle furent prises la plupart des délibérations importantes qui décidèrent la reconstruction de la ville d'Ypres.
Un jardin public devenu le potager des exilés de la Grande Guerre
Durant les années de la première guerre, alors que Paris-Plage devait gérer l'arrivée massive de réfugiés, dont les effets sur la population avaient été une augmentation brutale de 6000
habitants, l'un des problèmes majeurs fut d'assurer la nourriture de cette communauté décuplée. La situation de guerre ayant bloqué le ravitaillement, il fallut trouver des solutions pour rendre
la ville autonome. On eut alors l'idée de transformer le jardin public en potager pour nourrir la population. En 1917, le jardin public est transformé en champ de pommes de terre.
Lettre historique du bourgmestre d'Ypres
La lettre de remerciement présentée ci-dessous a été écrite par le bourgmestre d'Ypres, M. Colaert et adressée le 6 mars 1919 au
maire de Paris-Plage et aux membres de sa municipalité. Cette lettre fait notamment l'éloge du remarquable élan de solidarité et d'hospitalité que la population touquettoise toute entière
sut manifester à l'égard des exilés d'Ypres, dans le contexte douloureux de la Grande Guerre. Elle avait été adressée quelques
jours après la séance du fameux Conseil Échevinal d'Ypres qui avait été autorisé dans la salle du conseil de l'hôtel de ville du Touquet-Paris-Plage.
" Messieurs,
Sur le point de quitter définitivement votre charmante ville, je réponds à un puissant besoin de mon cœur en venant vous exprimer toute ma reconnaissance pour les services que vous avez bien voulu rendre, pendant une période de quatre années, à mes compatriotes exilés, comme aussi à l'administration communale d'Ypres et à moi-même.
Grâce à votre bienveillante intervention nous avons pu loger très convenablement nos écoles des deux sexes et procurer ainsi à nos élèves belges les bienfaits d'une éducation et d'une
instruction qui n'ont rien laissé à désirer. Vous nous avez même aidés à trouver des champs de culture pour l'enseignement agricole à donner à l'école moyenne.
C'est une faveur dont notre jeunesse studieuse n'a joui nulle part ailleurs. Ai-je besoin de vous dire, Messieurs, combien nous vous sommes reconnaissants et de vous assurer que le
gouvernement belge partagera nos sentiments de gratitude.
Quand l'administration communale d'Ypres et nos écoles pourront à leur tour, retourner dans notre ville et s'y réinstaller définitivement, dans quelques mois, je ne manquerai pas de signaler
à tous mes concitoyens tout ce que vous avez bien voulu faire pour rendre notre exil non seulement tolérable, mais utile et même agréable.
Le souvenir de notre séance du 23 février, tenue en votre mairie, au siège même de votre administration communale, gracieusement mise à notre disposition, dira à tous nos compatriotes, que c'est à Paris-Plage qu'une réunion d'un Conseil Communal Belge a pu, grâce à un arrêté exceptionnel, se réunir sur les bords de la Canche si furieusement enviés, il y a quelques mois encore, par un ennemi criminel.
Daignez agréer, Messieurs, avec l'expression de notre reconnaissance, l'assurance de notre parfaite considération.
Signé R. COLAERT "
Un air de campagne au cœur de Paris-Plage
Le jardin voit le jour en 1905 sous l’œil créatif de l'architecte de la Société Générale du Touquet-Paris-Plage, Henry Martinet. Sa conception suit la tradition du
"jardin pittoresque" utilisée dans la création des jardins publics au XIXème siècle où l'eau était systématiquement mise en scène. Tel qu'on le voit sur la photo ci-dessus, le jardin, fidèle à ce
principe, s'articule bien autour d'une pièce d'eau dont l'effet naturel est complétée par une rivière artificielle donnant de la vie aux espaces créés. Enjambée plusieurs fois par des petits
ponts, le cours d'eau offre une promenade romantique. Les allées sont sinueuses et les arbres sont plantés par groupes pour donner un caractère bucolique et offrir l'impression d'une promenade à
la campagne au cœur de la ville. Le relief naturel - ici les dunes - est préservé et utilisé pour donner de la profondeur et créer des belvédères. Ce concept paysager répondait au fantasme de
l'époque qui consistait à transposer la nature au cœur des cités. Cette ambitieuse fantaisie sera sévèrement critiquée pour le coût démesuré que les travaux de creusement engendrèrent.
Le remaniement du jardin public
Le jardin ne restera que très peu de temps dans sa forme originelle de 1905. Deux problèmes inattendus surviennent : le niveau de la nappe phréatique baisse considérable- ment, n'offrant plus suffisamment d'eau pour les mises en scène aquatiques du jardin et une soudaine invasion de moustiques que l'on n'avait jamais connu auparavant contraint les autorités à faire totalement supprimer la présence de l'eau. A peine deux ans après sa création, le jardin doit donc subir, en 1907, un remaniement complet, orchestré une nouvelle fois par son concepteur d'origine, l'architecte Henry Martinet. L'objectif est alors de redessiner le jardin sans les pièces d'eau. A l'inverse du précédent projet paysager, les reliefs sont gommés en procédant à l'arasement des dunes, le sable est utilisé pour combler les dépressions humides et l'ensemble du jardin est totalement aplani.
Dernier relookage en l'honneur de l'histoire
Avant de prendre sa valeur commémorative et de recevoir le nom de "Jardin d'Ypres" en 1935, le jardin public fait une dernière fois peau neuve. Pas de grands remaniements cette fois, juste une
rectification des allées de craie sur une largeur de 360 m. Celles-ci, recouvertes de gravillons, n'ayant pas été entretenues depuis plusieurs années doivent subir un sérieux relookage. Le
jardin est par ailleurs clôturé par 5600 pieds de troènes et bordé de 20 peupliers.
Les dernières modifications du jardin d'Ypres datent de 1949, période à laquelle le dessin des allées fut repris dans la tradition des formes d'arabesques, beaucoup utilisées dans la conception des jardins de Paris réalisés au 20ème siècle. Ces formes sont celles du jardin actuel.
Hommage au maréchal Juin
Sur la droite, lorsqu'on fait face à l'église, on trouve une stèle érigée à la mémoire du Général Juin (qui deviendra Maréchal). Sur celle-ci figure l'ordre du jour de l'officier précédant l'attaque de Garigliano où il vainquit les forces italiennes. D'abord posée et inaugurée le 7 juin 1970, avenue de Garigliano au « Belvédère » (secteur du golf), la stèle a été réinstallée dans le jardin d'Ypres en septembre 1999.
Sur la stèle on lit en lettres gravées:
La lutte sera générale, implacable, poursuivie avec la dernière énergie. Appelés à l'honneur d'y porter nos couleurs, vous vaincrez, en pensant à la France martyre qui vous attend et vous regarde. En avant.
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